mardi, avril 18, 2006

Le débat étrange

Avec un peu plus de recul on peut commencer à réfléchir sur les manifs récentes aux USA.

Les manifestations des immigrants, ici à Washington ou bien ailleurs, deviennent un phénomène fascinant. Alors qu’il y avait tant de manifs en France – où il existe une telle culture – il était intéressant de voir les villes américaines envahies par des manifs aussi.

Mais ça reste isolé, non pas en nombre de participants mais en terme de message. Tout d’abord, les manifestants sont presque tous d’origines hispaniques. Mais la loi ne les vise pas exclusivement.

  • Des 34 millions de personnes habitant aux Etats-Unis, nées à l’étranger, la moitié est d’origine hispanique. C’est beaucoup mais c’est la moitié.

  • Parmi les 11 millions d’immigrés sans papiers, on estime que 78% est d’origine hispanique.

Ils sont donc plus nombreux, sont plus organisés et ont plus de sans-papiers parmi eux que les autres.

Ceci dit, les premières manifestations étaient mal menées car ils avaient des drapeaux mexicains. Ils ont vite compris l’erreur symbolique et depuis ils ont des drapeaux américains. C’est beaucoup mieux. Mais à Washington, beaucoup des signes et pancartes étaient en Espagnoles ! Il y a du chemin à faire avant que ça devienne un vrai mouvement social. Ca s’est ralenti déjà…

Pire encore, le discours des manifestants incitait à plus de division. Beaucoup d’entre eux se placent contre les noirs américains et c’est une erreur grave. Je sais que la tension entre les hispaniques et les noirs monte chaque jour mais ça n’aide ni l’un ni l’autre.

(Pareille avec les autres étrangers. J’ai entendu un manifestant derrière un haut parleur qui disait, grosso modo : « Aucun des 19 terroristes du 11 septembre ne s’appelait Gonzalez ou Rodriguez. Mais beaucoup des soldats morts en Iraq s’appellent Gonzalez ou Rodriguez. » C’est vrai. Mais encore une fois ça ne va pas les aider d’essayer de diviser la communauté si fragile des immigrants. Beaucoup des hispaniques sont très pauvres – comme les noirs – et c’est pour ça qu’ils rejoignent l’armée où ils reçoivent des primes du genre quarante ou soixante milles dollars pour devenir soldat.)  

Les prémices cachées du débat doivent être analysés. J’aimerais ici me concentrer seulement sur la division entre les noirs et les hispaniques.

Ouvertement ou en privé, beaucoup de gens pensent que même si il y a « trop » de hispaniques, ils travaillent plus que les noirs. J’ai lu et entendu pas mal de Républicains dire ou insinuer que les noirs se contentent de la vie criminelle parce que c’est plus facile et qu’ils gagent plus comme ça.

Ce n’est simplement pas le cas. Ce n’est pas une meilleure vie.  

Les sociologues ont trouvé que :

  • 25 % des jeunes qui sont dans les gangs – sur une période de quatre ans – sont tués.

  • De plus, en moyenne, les dealers typiques de la rue (foot soldiers) gagnent bien moins que le SMIC (minimum wage) par heure. Pour beaucoup d’entre eux c’est $ 2.50 par heure ! C’est aussi pour ça que beaucoup de dealers vivent encore chez leurs parents…

Le débat est donc mal dirigé. Mais pourquoi ne travaillent-ils pas ? Est-ce qu’ils ne savent pas que c’est une mauvaise vie (financière) ? Le sociologue Orlando Patterson, membre de la communauté noire, nous dit que les jeunes noirs le savent parfaitement.

Ils continuent cette mode de vie non pas pour l’argent mais pour le prestige. Patterson nous dit que les jeunes noirs ont plus confiance en eux-mêmes que les autres jeunes !

Pourquoi ce prestige ?

A mon avis ça vient de la vie américaine.  Il faut savoir que plus de 3 albums sur 4 de rap ou de hiphop noir sont achetés par des jeunes blancs…

Les blancs des banlieues, dans une vie de consommation frustrée, avec des avenirs qu’ils ne désirent pas, projettent leurs rejets coléreux de cette société sur les noirs. La « violence » des noirs qu’ils arrivent à sentir par procuration est cathartique.

Beaucoup de compagnies de rap sont – si l’on suit l’argent – possédés par des compagnies blancs qui produisent toute une ligne de produits de consommations visés pour les jeunes, renforçant la consommation.  

Pour revenir à la question de départ, c’est faux de dire que les jeunes noirs ne veulent pas travailler et que les hispaniques sont plus courageux. C’est que les noirs sont les membres historiquement exclus de cette société. Ils sont blâmés pour la violence et sont en même temps encouragés pour maintenir une image de violence – qu’ils aiment à la mort comme le montre Patterson – sans en profiter. Le profit de cette image va aux studios qui arrivent à le vendre aux jeunes blancs, qui aussi se défoulent par procuration.  

Je ne dis pas que tout le débat sur les étrangers se résume uniquement à ça. Mais il y a beaucoup de préjugés étranges et infondés dans le débat sur les étrangers. Sans le savoir, c’est facile de blâmer les noirs ou les hispaniques.


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